Nathan se gara sur le parking du centre commercial d’Évry et coupa le moteur.
— Surtout, n’ouvre pas la portière, m’ordonna-t-il alors que ma main était précisément en train d’actionner la poignée.
Je la relâchai en soupirant. Il m’ouvrit, attendit que je sorte et se pencha pour attraper sa sacoche qu’il avait placée à mes pieds.
— C’est vraiment nécessaire d’en faire autant ?
Il me regarda d’un air sévère et je soupirai de nouveau.
— Donne-moi ta main et ne me lâche sous aucun prétexte, je n’ai pas l’intention de te perdre au milieu de la foule.
Ce que je fis, trop heureuse d’avoir une nouvelle occasion de marcher avec lui, main dans la main.
Les premiers pas furent difficiles. Je sentais les moindres aspérités du sol, encombré d’une multitude de petits graviers qui m’entamaient la chair. Nathan se rendit vite compte que quelque chose n’allait pas. Quand je lui expliquai mon problème, il s’accroupit.
— Allez, grimpe sur mon dos.
— Tu es sûr ?
— Tu préfères marcher les cent mètres qu’il nous reste, sans chaussures ?
— Non…
— Alors, monte.
Je m’exécutai en essayant de ne pas trop penser à ma nudité.
— C’est bon, dis-je une fois à cheval sur son dos.
Je lâchai un petit cri de surprise et serrai mes bras autour de son cou au moment où il m’agrippa les jambes pour se redresser.
— Méli… tu m’étrangles, toussa-t-il.
— Désolée, grimaçai-je en desserrant aussitôt ma prise.
Il avança vers les portes vitrées où il se reflétait. Contrairement à ce que j’avais craint, sa posture paraissait plus ou moins naturelle ; ses bras étaient simplement un peu trop écartés de son corps.
Il n’y avait pas énormément de monde à cette heure-ci. Nathan franchit le seuil du centre commercial au sol lisse et relativement propre d’un pas assuré et dynamique. Il attendit que le couloir soit suffisamment vide pour s’accroupir de nouveau. Je descendis maladroitement de son dos pendant qu’il faisait semblant de refaire son lacet. Il se releva rapidement. Me sentant à la fois soulagée et plus vulnérable, je m’empressai de lui prendre la main, toujours aussi chaude et rassurante.
— Alors, par quoi on commence ? demandai-je.
Il jeta un regard nerveux autour de nous, puis reporta son attention sur moi.
— Méli ! chuchota-t-il sur un ton réprobateur. Rappelle-toi que tu ne dois pas parler.
— Oh, c’est bon… il n’y a personne à portée d’oreille, pour l’instant.
Sa voix se radoucit et il pressa délicatement mes doigts, une lueur d’inquiétude traversant furtivement son regard.
— Peut-être, mais je préférerais que tu restes silencieuse… c’est plus prudent.
— Bon d’accord…, soupirai-je.
Rassuré, il m’entraîna à travers la grande allée. Nous passâmes devant une flopée de magasins, avant d’atteindre Sephora, à l’étage du dessous. Je le suivis entre les rayons presque déserts, jusqu’aux présentoirs de maquillage. Là, il prit une boîte de fond de teint Fluide Cake et me sembla embarrassé lorsqu’il l’examina sous toutes les coutures. Comme la couleur me parut un peu trop foncée pour ma peau, je tirai discrètement sur sa main pour l’orienter sur une autre teinte. Il reposa la boîte, prit celle que je lui avais indiquée et lut attentivement les paragraphes de textes imprimés sur le carton. Il paraissait désemparé, ce qui m’arracha un petit rire que j’étouffai immédiatement.
Finalement, il déposa l’article dans le panier, avant de se concentrer sur l’éventail de rouges à lèvres, où il eut également beaucoup de mal à faire son choix. Il étudia chaque couleur une à une, hésitant devant le nombre impressionnant de références. Son expression se décomposa encore un peu plus. Trop hilare pour lui venir en aide, je plaquai une main sur ma bouche et continuai de l’observer.
Après plusieurs minutes de délibération, j’orientai sa main vers le rouge à lèvres qui me correspondait le mieux.
Cette épreuve difficile terminée, il rejoignit la caisse et déposa ses articles sur le comptoir, sans cesser de me tenir la main.
Nathan me guida ensuite jusqu’à l’escalator pour atteindre le niveau supérieur. Nous nous engageâmes dans la grande allée, passant devant une nouvelle poignée de boutiques. Après avoir tourné au coin de l’allée, il entra dans le magasin bleu libellule, spécialisé dans le matériel de coiffure.
Ici aussi les clients se faisaient rares, ce qui représentait un certain avantage.
Nathan ne perdit pas une minute et se dirigea droit vers les perruques, sélectionnant rapidement un model avec de longs cheveux châtain ondulés d’environ 40cm.
Au moment de payer, le caissier, qui arborait une allure plutôt efféminée, lui adressa un sourire charmeur en remarquant ses achats précédents. Je sentis un irrésistible fou rire me gagner. Je plaquai ma main libre sur ma bouche et tentai de ravaler mon hilarité, mais quelques souffles d’air bien audibles s’échappèrent tout de même. La mâchoire de Nathan se crispa imperceptiblement et il raffermit sa prise sur ma main.
Lorsqu’il me tira vers la sortie, la galerie commençait à se remplir de monde. À son grand désarroi, il ne put me sermonner sans attirer l’attention.
La dernière étape de ces petites emplettes fut H&M, qui se trouvait à quelques pas devant nous.
Je crois qu’il venait de comprendre que notre escapade le mettrait beaucoup plus dans l’embarras que moi, car son humeur devint maussade. Quoi qu’il en soit, il s’obstina à continuer, puisqu’il m’entraîna à travers les différents présentoirs de vêtements féminins, jusqu’à trouver celui qu’il cherchait. Il détailla un à un les T-shirts à manches longues sur les cintres. Il finit par attraper le seul à ma taille. La couleur blanche, basique, ne m’enchantait guère, mais au moins, le tissu paraissait léger, ce qui m’éviterait d’avoir trop chaud par cette chaleur.
Déterminé, Nathan m’emmena jusqu’aux cabines d’essayage, mais fut stoppé dans son élan par la vendeuse qui vérifiait les articles à l’entrée.
— Bonjour Monsieur, vous avez combien d’articles ? demanda-t-elle sur un ton affable.
Il tenta de dissimuler son agacement à travers un sourire forcé.
— Un seul.
La jeune femme brune jeta un œil à ce qu’il tenait dans la main. Elle pinça l’arête de son nez, sans doute pour éviter de rire, en lui tendant une plaquette avec le numéro 1.
— Vous êtes sûr que c’est bien votre taille ? ne put-elle s’empêcher de demander.
— Je le saurais en ressortant de la cabine, lâcha froidement Nathan de plus en plus irrité par la situation.
Les yeux de la jeune femme dérivèrent sur les sacs transparents accrochés à son poignet. Elle laissa échapper un « Oh! » assez explicite, qui montrait clairement qu’elle venait de faire le rapprochement entre tous ses achats.
Depuis quelques secondes, je faisais mon maximum pour contenir mon fou rire, qui ne cessait de s’amplifier à mesure de leur échange. Avant que je n’explose littéralement, Nathan me tira énergiquement dans une cabine d’essayage.
— Bien fait pour toi ! chuchotai-je hilare.
— Essaie ça et on s’en va, avant que je m’énerve sur cette pauvre femme !
Je m’exécutai, sans réussir à me calmer totalement.
— Alors, qu’est-ce que tu en penses ? demandai-je devant son regard scrutateur.
— Ça fera l’affaire. Maintenant, dépêche-toi de le retirer et on rentre.
— Ah bon ? Tu ne veux pas l’essayer ? le taquinai-je en lui rendant le haut.
Pour toute réponse, j’eus le droit à un regard assassin, avant qu’il me traîne à l’extérieur de la cabine.
— Alors Monsieur, ça a été ? demanda la vendeuse d’une voix rieuse.
Conscient que la jeune femme se moquait totalement de lui, Nathan fit appel à tout son self contrôle pour ne pas la massacrer sur place. Au-delà de ses mâchoires crispées par la colère, il afficha un sourire forcé.
— Très bien, je le prends.
Ces derniers mots ressemblaient plus à un grognement qu’autre chose. Durant un instant, je crus qu’il allait la remettre en place, lui jeter à la figure tout un tas de méchancetés qui la blesseraient plus que n’importe quel coup.
Je tirai sur son bras pour lui rappeler qu’il n’était pas là pour faire un scandale. Il se dirigea vers la caisse, d’un pas lourd et énergique qui trahissait toute sa tension.
Nathan n’était pas du genre agressif, mais son ego de mâle dominant n’appréciait absolument pas d’être remis en cause. Il était prêt à tout pour prouver sa virilité.
En quittant la boutique, je perçus le rire de plusieurs vendeuses. L’humeur de Nathan devint massacrante. Il s’engagea au milieu de la foule et marcha d’un pas si rapide que je fus presque obligée de courir derrière lui. L’inévitable arriva : quelqu’un m’écrabouilla le pied et je ne pus retenir ma réaction. Nathan stoppa net quand je m’arrêtai et poussai brutalement la personne responsable de cet accident.
— Vous ne pouvez pas faire attention ? Espèce de grosse brute ! criai-je.
La grosse brute en question n’était autre qu’une armoire à glace. Du haut de ses deux mètres, l’homme tout en muscles jeta un regard meurtrier à Nathan qui ne broncha pas lorsqu’il vit les poings serrés et les narines dilatées de son interlocuteur.
— C’est à moi que tu parles ?
Un frisson d’horreur me parcourut. Nathan crispa sa main sur la mienne. Il fit son possible pour reprendre son calme et enterrer sa mauvaise humeur afin de ne pas envenimer la situation.
— Je n’ai rien dit, monsieur, se força-t-il à répondre d’un ton poli.
L’homme soutint le regard de Nathan un long moment, indécis. Néanmoins, il finit par relâcher la pression de ses poings et s’éloigna. Je soupirai de soulagement. Dans une ambiance plus détendue que précédemment, nous reprîmes notre parcours jusqu’à la sortie.
Nathan s’accroupit à hauteur des portes coulissantes pour que je puisse monter sur son dos, ce que je fis, malgré le flux permanent de passants qui me rendait nerveuse.
Une fois installé dans sa petite voiture, Nathan semblait un peu dépité.
— Je suis désolé, je n’aurais pas dû insister pour t’emmener ici, commença-t-il.
— Tu es pardonné. Finalement, je me suis beaucoup amusée.
Je souris devant sa mine agacée et ajoutai :
— Tu l’as bien cherché !
— Et comme me ridiculiser ne te suffisait pas, tu as tenté de déclencher une bagarre…
— Non… ce mec m’a broyé le pied, j’ai réagi par réflexe et… je l’ai poussé. Je suis désolée, je n’ai même pas vu à quoi il ressemblait, avant qu’il ne parle.
— T’en fais pas, c’est pas grave.
Sur le chemin du retour, je mourais d’envie d’entrelacer mes doigts aux siens, pour prolonger ce moment de bien-être qui m’envahissait dès qu’il me touchait, mais je me retins. Je n’avais aucun argument valable pour justifier ce geste.
Une fois chez Nathan, je m’empressai de me rhabiller. J’enfilai mes sous-vêtements, mon jean, et le haut à manches longues. Je me sentis tout de suite beaucoup mieux.
Je me laissai tomber sur le canapé tandis que Nathan me tendait les différents sacs contenant nos achats. Je m’empressai de les déballer. Nathan devint un peu nerveux, malgré son sourire moqueur toujours dissimulé sous son apparent sérieux.
— Est-ce que tu veux bien me laisser faire ?
Sa demande me surprit. Pendant un instant, je me demandai si cela ne cachait pas une autre plaisanterie de sa part. J’acceptai cependant, trop heureuse qu’il s’occupe de moi.
Il commença par le cou, étalant progressivement une couche de fond teint de ma clavicule jusqu’au menton. Je sentais la douceur de ses doigts à chacun de ses gestes un peu maladroits, comme s’il me croyait aussi fragile qu’une poupée de porcelaine. Il remonta sur mon visage et me demanda de fermer les yeux pour étaler la crème teintée sur mes paupières. Ma concentration sur ses mouvements augmenta considérablement et mon cœur s’accéléra subitement.
Quand il attrapa la perruque, j’enroulai mes cheveux en un fin chignon. Je souris face à sa méticulosité lorsqu’il l’ajusta sur ma tête. Il s’empara ensuite du rouge à lèvres et l’appliqua avec maladresse, semblant complètement absorbé par son travail.
Enfin, il s’écarta pour avoir une vue d’ensemble.
— Il manque quelque chose.
Il se leva subitement et fouilla dans un tiroir. Quand il revint vers moi, il tenait des lunettes de soleil qu’il s’empressa de glisser sur mon nez.
— Voilà, c’est parfait ! dit-il avec un sourire rayonnant.
— C’est vrai ?
Il hocha la tête.
— Tu peux aller regarder le résultat dans la salle de bain.
Je me levai avec impatience et me dirigeai vers l’unique miroir de son appartement. Néanmoins, une certaine réticence me gagna lorsque je m’apprêtai à faire le dernier pas. J’attendis une seconde. Je pris une grande inspiration et me plaçai face à la glace.
Je fis immédiatement demi-tour et me ruai vers Nathan avec colère.
— C’est ça ton super plan ? Me transformer en travelo ?! Tu ne vas pas t’en tirer comme ça, espèce de salaud !
L’état d’euphorie dans lequel il se trouvait me mit encore plus hors de moi. Je poursuivis mon élan pour lui mettre une énorme gifle, mais il se ressaisit juste à temps.
Vif comme l’éclair, il saisit mon bras, me fit virevolter, et m’immobilisa contre son torse. Je tentai de me débattre, mais sa main autour de mon poignet ainsi que son bras en travers de ma taille étaient sans faille. Je me radoucis seulement lorsque je sentis son souffle sur mon oreille.
— Calme-toi, Méli, je ne pouvais pas prévoir le résultat, commença-t-il en étouffant un autre rire. Mais j’avoue que tu es hilarante déguisée de cette façon.
Sa voix, aux intonations riches et profondes, me provoqua un long frisson. Mon cœur se mit à palpiter. Je m’efforçai de paraître normale et lui répondis sur la défensive.
— J’aurais dû me douter que tu mijotais quelque chose dès l’instant où tu m’as demandé si tu pouvais t’en occuper !
— Oh allez, n’en fais pas toute une histoire.
Je ne répondis pas et me laissai aller contre son torse, m’enivrant de son parfum délicieusement attirant, savourant cette proximité que je cherchais depuis des années.
— C’est bon, je peux te lâcher, maintenant ? Tu ne risques plus de me frapper ?
Non, ne me lâche pas.
J’étais incapable de lui avouer ce que je ressentais. Au lieu de ça, j’ajoutai :
— Je n’ai pas encore pris ma décision, concernant ton châtiment !
Il rit de plus belle et desserra son étreinte. Un peu étourdie qu’il ait rompu notre contact aussi brusquement, je vacillai légèrement.
Nous passâmes l’après-midi à essayer de trouver une solution à ma situation. Après avoir analysé un grand nombre de théories, toutes plus farfelues les unes que les autres, nous n’étions pas plus avancés.
À mesure que les heures s’écoulaient, je me sentais de plus en plus nerveuse face à la nuit qui s’annonçait. En dépit de mon problème d’invisibilité, dormir avec Nathan représentait une chose qui m’angoissait autant qu’elle me réjouissait.
Vers 20 h, Nathan me demanda si j’avais faim. Je surpris son regard et reconnus cette lueur caractéristique qui l’animait lorsqu’il avait une idée derrière la tête.
— Ça te dit de commander chinois, pour ce soir ?
— Tu vas encore m’inviter ? demandai-je réticente.
Un sourire éclaira son visage.
— Et alors ? J’ai bien le droit de t’inviter autant de fois que je le veux.
— Mmm. Ne crois pas que ça suffira à te faire pardonner.
— Oh allez, Méli, arrête de bouder. J’ai eu mon lot d’humiliations moi aussi, tu ne crois pas ?
— Peut-être…, répondis-je avec un petit rire en me remémorant la scène de la cabine d’essayage.
Le livreur sonna vingt minutes après l’appel de Nathan, nous apportant des boîtes en carton d'où s'échappait une délicieuse odeur.
Nathan disposa le contenu de la livraison sur sa petite table basse, puis se posta devant son étagère de DVD. Lorsqu’il se retourna, il brandit une jaquette devant mes yeux.
— Ce soir, c’est soirée cinéma, commença-t-il.
Je détaillai le DVD avant de m’indigner.
— L’homme invisible ? Tu te fous de moi ?!
— Juste un peu, ricana-t-il.
Je lui giflai le bras et me forçai à garder un air mécontent.
— Hors de question !
— De toute façon, tu n’as pas le choix.
Il ouvrit la boîte sans tergiverser davantage et glissa le CD dans le lecteur.
— Tu es, et tu resteras, une crapule avide de me tourmenter ! bougonnai-je.
Il me fit un petit clin d’œil malicieux. Avec ce sourire triomphant qui me faisait toujours vibrer, il s’installa sur le canapé, près de moi. Il me tendit mon plat de porc au caramel et nous commençâmes à manger.
Durant le film, je m’interdis d’observer Nathan à la dérobée. Je luttais pour ne pas me rapprocher de lui ; pour avoir l’air naturel malgré l’effet qu’il me faisait. Pourtant, j’étais incapable de résister. Je finis par lui jeter un regard qu’il remarqua immédiatement. Mon cœur s’emballa et mes joues s’enflammèrent. Au lieu de me faire la moindre remarque embarrassante, il attrapa ma main. Mon cœur battit frénétiquement contre mes côtes, raisonnant à mes tempes tellement fort que j’eus du mal à entendre sa voix.
— T’en fais pas, Méli, ça va s’arranger. Allez, viens par là, dit-il en me tirant vers lui.
Son bras glissa autour de ma taille et une multitude de papillons se déchaînèrent au creux de mon ventre. Timidement, je posai ma tête sur sa poitrine. Je me lovai contre lui, concentrée sur les battements réguliers de son cœur. Je fermai les yeux quelques secondes afin de m’imprégner de son parfum irrésistible, de sa chaleur. Je savais qu’il faisait ça uniquement pour me réconforter…
Au moment où le générique de fin défila sur son écran de télé, je ne bougeai pas, espérant prolonger cet instant de bonheur qui m’envahissait dès que Nathan me prenait dans ses bras. Résignée, je fis semblant de dormir lorsque je le sentis remuer.
— Méli ? chuchota-t-il. Le film est terminé… Tu dors ?
Je ne répondis pas. J’essayai de respirer de façon régulière afin de simuler le mieux possible.
Contre toute attente, il caressa ma joue de sa main libre, attendit quelques minutes, puis ôta délicatement ma perruque. Quand il déposa un tendre baiser sur le haut de ma tête et inspira profondément, je me sentis défaillir.
— T’en fais pas mon ange, dans quelques heures tout sera rentré dans l’ordre.
Il resta un long moment à me serrer contre lui. Malgré moi, ma respiration se fit plus rapide à mesure qu’un sentiment d’espoir démesuré s’insinuait en moi. Il dut s’en rendre compte, car il relâcha son étreinte et me secoua légèrement.
— Méli ? dit-il d’une voix beaucoup plus forte. Le film est terminé. Allez, réveille-toi, je dois déplier le canapé.
— Mmm, grognai-je, faignant encore l’endormissement, malgré le choc de ces dernières minutes.
Il me poussa doucement sur le côté et se dégagea, pendant que je tentais de me ressaisir.
— Et merde ! jura-t-il. Tu viens de bousiller ma chemise, elle est couverte de fond de teint.
Je repris totalement mes esprits devant son air contrarié.
— Je suis vraiment désolée, je ne savais pas que ça pouvait tacher…
— C’est pas grave, j’en ai d’autres, soupira-t-il.
Il déboutonna sa chemise sous mon regard scrutateur. J’avalai difficilement ma salive, en découvrant progressivement la courbe de ses muscles parfaitement dessinés. Il se déshabilla rapidement, m’offrant une vue imprenable sur son torse nu.
Figée telle une statue de pierre, je détaillai la grande cicatrice qui lui barrait la poitrine jusqu’à l’abdomen. D'autres, plus discrètes, lui parsemaient le torse, les épaules et les bras. Il n’avait jamais voulu me dire comment cela lui était arrivé, mais je soupçonnais qu’elles résultaient d’un accident assez violent avec de gros éclats de verre, ou de débris tranchants.
Mes yeux descendirent inévitablement jusqu’à la fine couche de poils sombres qui disparaissait sous son pantalon.
— Tu veux prendre une douche pour te débarrasser de tout ce maquillage ?
Je sursautai. Sa question me ramena à la réalité et mes joues s’enflammèrent de nouveau.
— Heu… oui, bafouillai-je. Tu as quelques affaires à me prêter ?
Il me tendit une grande serviette ainsi qu’un de ses T-shirts avant que je ne disparaisse dans la salle de bain.
Pendant ma toilette, je repensai à ce qui venait de se passer. Un tas de questions se bousculaient dans ma tête.
Est-ce qu’il sait ce qui m’arrive, malgré son obstination à me convaincre du contraire ? Ou bien ses paroles se voulaient-elles seulement réconfortantes ?
Et la plus importante à mes yeux : Est-ce qu’il ressent la même chose que moi, finalement ?
Quand je rejoignis Nathan il se déshabillait, gardant seulement un boxer noir terriblement sexy. La vue du lit m’angoissa énormément.
— Alors, Jack Griffin, tu veux dormir de quel côté ?
— Quoi ?! m’indignai-je. Tu oses m’appeler comme ça ?!
Il éclata de rire.
— Je prends le côté gauche, ajoutai-je. Et ne m’appelle plus comme ça !
J’aurais dû me douter que ma réponse engendrerait une nouvelle taquinerie de sa part, car il s’allongea sur le lit, à l’endroit précis où je voulais dormir.
— Nate ! Je t’ai dit que je prenais le côté gauche.
— Et moi, je n’ai jamais dit que j’acceptais.
Il m’adressa un clin d’œil, ce qui ne m’aida pas à garder mon air fâché. Je fis mon maximum pour ne pas flancher.
— Si tu ne te pousses pas immédiatement, tu vas le regretter ! Et j’ai l’avantage, cette fois.
Parcourant la pièce du regard, je cherchai quelque chose à lui balancer. Un petit coussin trônait sur une chaise. Je m’en emparai et lui lançai avec toute l’énergie dont j’étais capable. Malheureusement pour moi, Nathan était très rapide. Il rattrapa le coussin au vol et ne perdit en rien son sourire provocateur lorsqu’il me le renvoya à la figure.
— Tu prétends toujours avoir l’avantage ?
— Tu triches ! Il n’y a pas d’autre explication, bougonnai-je.
— Mauvaise joueuse, riposta-t-il avec un petit rire.
Il regagna le côté droit du lit et se glissa sous la couette. Je restai paralysée, appréhendant le moment où je m’allongerais près de lui.
— Allez, Jack, viens te coucher.
— Ne m’appelle plus comme ça !
Comme il ne cessait de me regarder, je me résignai. Je m’approchai maladroitement et m’installai à ma place, tirant la couette jusqu’à mon cou.
— Bonne nuit, dit-il en éteignant la lumière.
— Bonne nuit.
J’avais tellement envie de me blottir contre lui…, mais je savais que cela n’arriverait jamais. Je lui tournai le dos, et me contraignis à dormir.
De longues minutes de silence s’écoulèrent pendant lesquelles je me repassai la scène du canapé. Le matelas bougea soudain et Nathan se rapprocha de moi. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine.
— Méli… tu dors ? chuchota-t-il.
Je ne répondis pas et attendis avec angoisse et impatience, les sens en alerte. Sa main glissa lentement dans mes cheveux pour redescendre sur ma joue. J’étais au bord de l’explosion. Je sentis son souffle chaud sur mon oreille.
— Fais de beaux rêves, mon ange.
Il bougea de nouveau et des milliers de papillons se déchaînèrent au creux de mon ventre. Sa main descendit jusqu’à ma taille. Il me serra contre lui et chercha ma paume pour entrelacer ses doigts aux miens. Sa bouche se posa sur ma nuque en un tendre et doux baiser. Mon cœur battait si fort que j’avais du mal à respirer.
Pourquoi fait-il cela ? Depuis combien de temps profite-t-il de mes moments d’inconscience pour se rapprocher de moi ? Et s’il tient à moi de cette façon, pourquoi ne me l’a-t-il jamais dit, ou montré ?
Malgré toutes ces questions qui menaçaient de me faire exploser la tête, je me détendis dès que j’entendis sa respiration régulière et finis par m’endormir.
À mon réveil, la fermeté et la chaleur de mon oreiller étaient tellement confortables que j’avais du mal à me rappeler où je me trouvais. L’esprit encore embrumé, je faillis me rendormir jusqu’à ce que je réalise qu’un oreiller n’est jamais chaud. Je me figeai, sans oser bouger d’un millimètre.
Oh mon Dieu ! Sur quoi est-ce que je dors ? Ou plutôt, sur quelle partie du corps de Nathan ?
N’y tenant plus, je me relevai d’un bond. J’espérai m’éclipser discrètement dans la salle de bain avant qu’il ne se réveille, mais je l’entendis bouger. À plat ventre sur le lit, il se tortilla comme s’il était encore à moitié endormi. Je relâchai l’air qui s’était bloqué dans mes poumons.
— Je rêve ou tu dormais sur mes fesses ? commença-t-il, les yeux toujours fermés.
Mes joues s’embrasèrent et ma bouche devint encore plus sèche.
— Heu… non, répondis-je avec trop d’hésitation dans la voix.
Il rit doucement.
— Ah, Méli, tu mens toujours aussi mal.
Je crois que je ne m’étais jamais retrouvée dans une situation aussi humiliante. Pourtant, mon attention se reporta vite sur autre chose ; la sensation de picotement qui m’avait assaillie durant toute la veille avait disparue.
Avec appréhension, je baissai les yeux sur mon corps. J'aperçus mes bras, mes mains, mes jambes, mes pieds et mes orteils, dont un arborait une couleur bleue violacée assez inquiétante. Un soupir de soulagement m'échappa. Ce cauchemar était enfin terminé.
En pleine réflexion, je sursautai lorsque deux bras puissants m'agrippèrent la taille et me jetèrent sur le lit.
— Nate ! Mais qu’est-ce que tu fais ?
Il m’immobilisa sur le dos et se plaça à califourchon sur moi. Une de ses mains attrapa mes poignets pour les ramener au dessus de ma tête. La lueur espiègle au fond de ses yeux ainsi que le sourire taquin qui fendait son visage ne présageaient rien de bon.
— Ma vengeance sera terrrriiiiiiiiiiiible, cria-t-il en remontant mon T-shirt de sa main libre afin d’exposer mon ventre.
Et là, je sus que ce qui allait suivre me provoquerait une crise de fou rire incontrôlable.
— Non… pas les petits Indiens ! Pitié ! suppliai-je en tentant de me dégager.
— Il fallait y réfléchir avant de dormir sur mes fesses ! ricana-t-il en commençant son supplice.
Sa paume se posa sur mon nombril, ses doigts bougèrent au rythme de l’histoire qu’il racontait. Je criais et me tortillais avec vigueur, sans réussir à me libérer de sa prise.
— Arrête, Nate… C’est pas juste ! haletai-je entre deux éclats de rire.
Pour toute réponse, il intensifia ses chatouilles tandis que je rigolais de plus belle. À chaque fois que je le suppliais il alternait les phases intensives et calmes, continuant sa torture sans scrupule, pendant que je me débattais de toutes mes forces.
Haletante, à la limite d’avoir des crampes aux abdominaux et aux joues, je fus soulagée que son histoire prenne fin quelques secondes plus tard.
Littéralement épuisée, je fermai les yeux un instant pour reprendre mon souffle. Nathan me libéra les poignets, mais resta au-dessus de moi. Sa main se posa soudain sur ma joue, son pouce caressa ma pommette, effleura mes lèvres. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine.
Je rouvris les yeux et le dévisageai. Son regard était empli d’un mélange de gaité et de sérieux au moment où il se pencha vers moi. Ses lèvres se posèrent doucement sur les miennes tandis qu’il prenait mon visage entre ses mains.
Il hésita un instant et se redressa de quelques millimètres. Sa respiration était saccadée, ses yeux étaient fermés et sa mâchoire tellement crispée que j’avais du mal à comprendre ce qui lui arrivait. Mais j’attendis, l’estomac comprimé à un point inimaginable. J’aurais voulu le toucher, mais je n’osais pas bouger.
Il rouvrit les yeux et croisa mon regard. Il avait l’air désemparé. Ses lèvres rencontrèrent de nouveau les miennes et mon cœur s’affola encore. J’étais au bord de l’explosion. Sa langue se fraya un chemin dans ma bouche avec une tendresse infinie. Bouleversée, je glissai mes doigts derrière sa nuque. Il se figea et se releva d’un bond.
Malgré mon léger vertige, je m’assis sur le lit pour le dévisager.
— Méli… je suis désolé, je n’aurais pas dû faire ça, commença-t-il sans parvenir à soutenir mon regard.
J’eus un pincement au cœur.
— Pourquoi tu l’as fait si c’était pour me repousser ? demandai-je la voix tremblante.
Il daigna enfin me regarder, mais son visage trahissait une panique que je ne comprenais pas.
— Crois-moi, ce n’est pas une bonne idée… Je t’assure que nous le regretterions tous les deux dans quelque temps.
Je fis mon possible pour contenir mes larmes, même si ma gorge me faisait de plus en plus mal. Avec un sourire triste, il posa sa main sur ma joue.
— Tu veux bien me pardonner ?
Je hochai la tête, incapable de parler tant ma peine était immense.
Visiblement soulagé de ma réponse, il se dirigea dans la salle de bain. Quand j’entendis la douche couler, j’éclatai en sanglots ; car si avant je désirais attirer l’attention de Nathan, je savais maintenant qu’il ne voulait pas de moi. Et c’était bien pire…
L’eau s’arrêta et je me ressaisis. Je devais partir avant qu’il ne me voie dans cet état. En aucun cas, il ne devait découvrir à quel point je l’aimais; se faire rejeter était déjà suffisamment humiliant.
Je voulus m’habiller, mais me rappelant que mes vêtements étaient restés dans la salle de bain, je fouillai dans l’armoire de Nathan. J’attrapai son vieux jogging et enfilai mes chaussures, restées près de l’entrée. Juste avant de sortir, je réalisai que je n’avais aucun moyen de transport. Je décidai d’appeler Patricia en espérant qu’elle serait d’accord pour venir me chercher.
Je décrochai le fixe et composai le numéro de ma voisine, angoissée à l’idée que Nathan ressorte de la salle de bain et me prenne sur le fait. Après lui avoir expliqué la situation, Patricia accepta immédiatement de m’aider.
Je partis, fermant la porte le plus discrètement possible afin de ne pas faire de bruit.
Je longeai le trottoir de plusieurs mètres, au cas où Nathan sortirait de son appartement, et me plaçai hors de vue. J’attendis à peu près vingt minutes, sous le soleil matinal de cette nouvelle journée, avant d’apercevoir la voiture de ma voisine.
— Hé, Melinda, ça n’a pas l’air d’aller, dit-elle au moment où je montais dans sa 106.
Je recommençai à pleurer en me remémorant le visage de Nathan rongé par la panique.
— Non, ça va pas très fort…
— T’inquiète pas, j’ai exactement ce qu’il te faut.
— Pourquoi tu pleures ? demanda Jessica à l’arrière de la voiture.
— Pour rien, ma chérie...
Durant le chemin, Patricia me tendit plusieurs mouchoirs que je trempai aussitôt de larmes. Quand nous arrivâmes dans la cour de notre immeuble, j’en avais utilisé une bonne vingtaine. Réalisant que me morfondre de cette façon ne servait à rien, je fis mon possible pour me ressaisir.
Dès que Jessica sortit de la voiture, elle se précipita vers moi pour me faire un bisou magique, persuadée que cela me guérirait. Elle insista également pour me tenir la main jusqu’à ce que je sois confortablement installée dans son canapé. Là, elle m’apporta un paquet de M&M’s puis se blottit contre moi tandis que Patricia me préparait un chocolat chaud.
— Allez, raconte-moi tout, ça te fera du bien, commença Patricia en me tendant la tasse brûlante.
Je reniflai une dernière fois avant de lui expliquer la situation dans les détails. Toutefois, je pris soin d’éviter de mentionner mon problème d’invisibilité et inventai un prétexte pour avoir passé la nuit chez Nathan.
Avec un peu de recul, je m’aperçus que Nathan n’avait pas eu l’air surpris que mon corps réapparaisse.
Est-ce que les paroles qu’il m’a chuchotées pendant que je faisais semblant de dormir ne sont pas anodines ? Est-il au courant de ce que je suis en train de vivre, finalement ?
Tout cela me perturbait énormément et j’avoue que je ne savais plus quoi penser de lui…
Au bout d’une heure, je me sentais déjà mieux. Les observations de Patricia me réconfortèrent un peu, bien qu’elles soient basées sur de pures suppositions. Pendant mon récit, Jessica s’était éclipsée dans sa chambre et jouait aux Barbies, revenant régulièrement nous demander notre avis sur les robes qu’elle leur avait choisies.
Ma bonne humeur et mon optimisme retrouvés, je rentrai chez moi en fin d’après-midi avec de nouveaux espoirs.
Lorsque je franchis la porte d’entrée, je vis deux paires de chaussures. La première appartenait à mon frère, quant à la seconde, c’était incontestablement celle d’une fille.
À la fois surprise et impatiente, je me ruai vers la chambre de David afin de découvrir cette mystérieuse visiteuse. Je toquai, puis entrai sans attendre, comme j’en avais l’habitude. Mon frère se tenait debout devant moi et avait à peine eu le temps de ramasser son caleçon pour se couvrir l'entrejambe tandis que sa copine serrait les draps contre sa poitrine. Elle semblait vraiment très embarrassée et ses joues avaient viré à l’écarlate. David, en revanche, dont le visage arborait la même teinte que sa nouvelle conquête, était furax.
Sur le coup, je me sentis un peu bête d’être entrée sans réfléchir. Au lieu de m’excuser, je lançai le premier truc qui me passa par la tête.
— Je vois que ton rendez-vous s'est bien passé.
Je refermai aussitôt la porte derrière moi.
Il va me tuer.
Je tentai de m’enfuir pour éviter sa colère, mais il me rattrapa avant que je n’atteigne la porte d’entrée.
— Où tu vas comme ça ? demanda-t-il exaspéré.
Je me retournai. Cette fois il était habillé.
— Heu… chez Patricia… Je ne voudrais pas vous déranger, répondis-je contrite.
Il croisa les bras sur son torse et fronça encore un peu ses sourcils, ce qui accentua son air furieux.
— C’est déjà fait !
— Écoute, David, je suis désolée, j’ai pas réfléchi… Tu ramènes si peu de filles à la maison que je n’ai même pas pensé que tu pourrais être… occupé.
Il soupira et se détendit légèrement.
— Bon, c’est pas grave. Après tout, tu ne pouvais pas savoir. Et je ne t’ai rien dit parce que je savais que tu allais t’emballer.
— Mais pas du tout !
— Arrête, Méli, je te connais par cœur. Dès que je mentionne le nom d’une fille un peu trop souvent, tu la vois déjà comme ta future belle-sœur.
— Ouais, bon, c’est possible…
— Allez, viens, je vais te présenter.
Je le suivis jusqu’au salon et m’installai sur le canapé tandis qu’une petite brune sortait de la chambre de David. Elle terminait de rajuster son chemisier blanc quand mon frère se précipita vers elle pour lui attraper la main, semblant très fier d’être à ses côtés.
— Méli, voici Audrey.
— Enchantée, dis-je en esquissant un sourire chaleureux.
— Bonjour, répondit Audrey d’une voix un peu gênée.
David lui fit signe de s’asseoir sur le fauteuil en face de moi, puis s’éclipsa dans la cuisine.
Pendant son absence, Audrey s’efforça de ne pas croiser mon regard et ne cessa d’essuyer nerveusement ses mains sur son jean. Je voulus la détendre, mais aucun sujet de conversation ne me vint à l’esprit. Nous restâmes dans ce silence pesant jusqu’à ce que David nous rejoigne, les mains chargées d’un plateau avec trois verres de coca. Il les disposa sur la table basse devant chacune de nous et prit place sur l’accoudoir du fauteuil occupé par sa nouvelle copine. Il passa un bras possessif autour des épaules d’Audrey et commença à me raconter comment ils s’étaient rencontrés. Soulagée qu’il se confie à moi, je l’écoutai attentivement, essayant de paraître sympathique devant cette jolie brune timide que je ne connaissais pas.
Comments