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Photo du rédacteurOlivia Sunway

Au Nom de l'Harmonie, tome 1 : Zéphyr - Chapitre 1

Dix ans plus tard


Assise devant mon ordinateur, je rédigeais un mail pour demander à ma chef une nouvelle mission. Pour une fois, elle me répondit dans la seconde, en me signifiant texto : « Nous ferons le point cet après-midi ». Le problème, c’est qu’il était à peine 11 h du matin…

Mon CDD d’un an se terminait dans deux jours et l’appel que j’avais reçu au début du mois concernant l’annonce de responsable marketing m’avait ôté toute motivation.

Ce jour-là, j’avais bien failli tomber de ma chaise quand la jeune femme au bout du fil m’avait annoncé sa candidature. J’avais immédiatement lancé une recherche sur Google pour m’apercevoir que l’annonce en question datait non seulement du jour précédent, mais qu’elle reprenait également une grande partie de ma mission. Sous le choc, je m’étais mise à trembler comme une feuille, persuadée que je décrocherais le CDI qu’on m’avait fait miroiter pendant ces 12 derniers mois.

Le jour suivant, j’avais demandé un entretien afin d’éclaircir ce mystérieux appel. Lorsque j’avais mentionné le coup de téléphone, le visage de Mme Consel s’était littéralement décomposé. Et là, je m’étais fait la réflexion que quelque chose clochait sérieusement. De plus, non contente d’avoir été prise sur le fait, elle avait osé me dire qu’elle ne savait pas encore si elle me gardait !

Après cette brève conversation, je ne nourrissais plus aucun espoir quant à l’issue de mon contrat.

Pour en revenir à l’instant présent, sa réponse à mon mail me confirmait plus ou moins que je ne serais pas prise, et j’avais la désagréable impression d’être mise au placard. En voyant qu’il me restait une heure de temps libre avant de déjeuner, je déprimai.

À 13 h, je retournai à mon poste et commençai une partie de solitaire.

À 15 h, je m’ennuyai fermement et j’étais plus que stressée, sans pour autant oser déranger Mme Consel pour lui rappeler que nous devions faire le point.

Quand vint 16 h 55, j’attendis les cinq dernières minutes avec impatience, pour tout éteindre et enfin rentrer chez moi. C’est à ce moment-là qu’elle entra en trombe et en parfaite bonne humeur, ce qui n’arrivait que très rarement.

Elle s’installa en face de moi, replaça d'un mouvement de tête énergique la mèche qui lui barrait le visage et me lança joyeusement :

— Alors, Melinda !

Devant sa mine enjouée, je me dis que, soit elle avait une mauvaise nouvelle à m’annoncer que son entrée fracassante et son comportement faussement sympathique aideraient à faire passer la pilule, soit elle m’annoncerait effectivement une bonne nouvelle.

Je doutais fort du second point.

Je la fixai, méfiante, pendant qu’elle débitait tout un tas d’arguments pour justifier son choix de ne pas me garder. Mme Consel évoqua l’absence de travail à me donner, mon manque d’expérience, soulignant tout de même les nombreux efforts que j’avais fournis durant ces six derniers mois. Sans oublier de me baratiner sur l’avenir de son entreprise de consulting, prétextant la fin d’un gros contrat d’où la diminution de l’activité.

Naïve comme je l'étais, je gobai une grande partie de son discours. En revanche, je révisai mon jugement dès le lendemain lorsqu’en début de matinée, je l’entendis à l’autre bout du couloir :

— Je vous présente Virginie, la nouvelle responsable marketing.

Surprise, je faillis m’étrangler avec mon café. Là, elle se foutait vraiment de ma gueule ! Malheureusement, je n’avais pas d’autre choix que de faire bonne figure si je voulais récupérer ma lettre de recommandation.

Ses pas se rapprochèrent lentement de mon bureau, où elle se pointa comme une fleur, accompagnée de ma remplaçante. Je me forçai à afficher un sourire accueillant quand elle informa Virginie que je quittais l’entreprise le jour même et que mon poste d’assistante marketing était remplacé par le sien. Comme je m’y attendais, cela la mit extrêmement mal à l’aise. D’ailleurs, je ne comprenais pas très bien le but de ce petit manège.

Le comportement de Mme Consel n’étant qu’un piètre reflet de ses nombreuses sautes d'humeur, lorsque je franchis la porte vitrée pour la dernière fois ce soir là, je ressentis un certain soulagement.

Détendue après cette dernière confrontation, je quittai le MIN de Rungis à bord du TVM.


Me retrouvant de nouveau au chômage, j’entrepris rapidement de faire des recherches intensives dans le domaine du marketing. Au bout de quelques semaines infructueuses, je réussis à décrocher mon premier entretien pour un poste d’assistante. Le rendez-vous était fixé le lundi suivant à 9 h, à la Défense.


Après un entretien de deux heures, je ressortis de la tour Ariane avec soulagement et bonne humeur.

Le soleil brillait et la température était douce, nous annonçant un été prometteur en ce début juillet.

Nathan m’attendait sur le parking des Quatre Temps. Je l’avais appelé d’urgence pour m’emmener à mon rendez-vous, car mon train avait été supprimé et le trafic complètement arrêté à cause d’un accident de personne.

Comme toujours, il était venu à ma rescousse, malgré le fait que je l’ai réveillé. Quand il m’avait déposé, il s’était passé quelque chose d’inhabituel. Pour la première fois depuis sept ans, il avait voulu m’offrir un cadeau. Chose que nous nous interdisions. Sur le coup, ma curiosité maladive m’avait presque obligée à accepter immédiatement. Je m’étais pourtant forcée à remettre ça à plus tard, car l’heure de mon entretien approchait et ce contre-temps risquait de me mettre en retard.

En regagnant le parking souterrain, je me remémorais notre première rencontre et ne pus m’empêcher de sourire.

J’avais 18 ans et je venais de me faire larguer par mon premier copain. Après avoir passé plusieurs mois avec lui, je croyais qu’il m’aimait. Le jour où j’avais finalement couché avec lui, je m’étais rendu compte que toutes ses déclarations d’amour n’étaient qu’un prétexte pour arriver à ses fins et me jeter le jour suivant. C’était pendant les vacances d’avril.

Déprimée, je m'étais réfugiée dans le parc de Villeroy, sur un banc de pierre, à l’abri des regards indiscrets. Je pleurais sans cesse, mais je ne voulais pas le montrer à mes parents, ni à qui que ce soit d’ailleurs.

Les jours passaient sans que mon chagrin ne s’apaise. Il m’arrivait de croiser certains passants, mais c’était assez rare à cette époque de l’année. Pourtant, un jour, l’un d’entre eux s’était assis près de moi.

Je n’avais pas osé le regarder, mais je savais que c’était un homme. Un jeune. Il ne disait rien, comme s’il voulait simplement m’offrir sa présence en signe de soutien.

J’étais mal à l’aise de pleurer devant un inconnu. Je faisais mon possible pour me ressaisir lorsqu’il avait posé un paquet de mouchoirs entre nous deux. Il était reparti quelques minutes plus tard, mais ce bref échange m’avait un peu remonté le moral.

Le lendemain, j’étais retournée sur ce banc au milieu de la forêt… et un autre paquet de mouchoirs était posé à ma place. Après cette brève rencontre, ce n’était plus avec le même sentiment que je regagnais le banc. J’espérais le revoir.

Chaque jour, il y avait un nouveau paquet de mouchoirs. À chaque fois que je le voyais, mon cœur s’accélérait. Cette petite attention me touchait énormément bien que je ne connaisse absolument pas cet homme.

À la fin de la semaine, je pensais retrouver un autre paquet, mais cette fois, c’était lui qui m’attendait. D’abord indécise, je l’avais observé en détail avant qu’il ne me remarque.

Grand, musclé, le teint mat et les cheveux sombres, il était à tomber. Ses yeux s’étaient soudain posés sur moi avec cette lueur chaleureuse qui me réchauffait toujours le cœur. Il m’avait adressé un sourire éblouissant et ma respiration s’était bloquée dans ma gorge.

C’était précisément à ce moment-là que j’avais commencé à m’attacher à lui. Il dégageait quelque chose qui me rassurait et qui me semblait familier. Timidement, j’avais continué à avancer vers lui. Quand je m’étais assise sur le banc, mes joues s’étaient enflammées, mon ventre s’était noué et mes mains étaient devenues moites. Je n’avais pas pu le regarder.

— Tu te sens mieux ? m’avait-il demandé.

Les yeux toujours rivés devant moi, j’avais acquiescé faiblement.

— Je m’appelle Nathan, et toi ?

— Melinda.

Nous avions commencé à discuter et à nous revoir chaque jour. Le soir quand je rentrais chez moi, j’attendais avec impatience notre rendez-vous du lendemain.

Au fur et à mesure, une sorte de jeu s’était installé entre nous, le but étant de provoquer l’autre pour le faire râler le plus possible.

Je l’aimais depuis des années, même si je savais que lui ne voyait pas notre relation comme je le voudrais. Il avait 4 ans de plus que moi et j’étais persuadée qu’il me considérait comme la petite sœur qu’il n’avait jamais eue…


Lorsque j’atteignis sa voiture, mon impatience était à son comble. Je mourais d’envie de m’emparer de sa sacoche et de la fouiller jusqu’à trouver mon cadeau. Nathan me connaissait suffisamment bien pour avoir anticipé mon geste et avait pris soin de ranger son sac sur la banquette arrière, hors de portée.

Il me fixa et me décocha un sourire diabolique. J’ignorai délibérément son air taquin.

— Alors, quel est ce cadeau que tu voulais m’offrir ?

Il laissa échapper un petit rire.

— Trop tard. Tu vas devoir patienter un peu, maintenant.

— Allez, quoi. Tu sais que j’ai horreur d’attendre et que ma curiosité va me rendre folle. Il faut que je sache !

Il démarra sans me laisser le temps de négocier davantage.

— Dommage… Tu aurais dû l’accepter tout à l’heure.

Je lui jetai un regard contrarié, bien que cette lutte avec lui m’amuse beaucoup.

— T’es vraiment un emmerdeur quand tu t’y mets !

— Tu t’ennuierais si ce n’était pas le cas.

Je retins un sourire, en vain.


Arrivé à Mennecy, il fit un crochet par le restaurant japonais Okiwu. Il était presque midi et je mourais de faim.

Au moment de sortir de la voiture, il me jeta un autre de ses regards moqueurs et ses yeux bruns pétillèrent.

— Attends-moi ici, j’en ai pour quelques minutes.

— Hors de question ! Je viens avec toi.

— Tu commandes toujours la même chose.

— Et alors ? J’ai peut-être envie de changer, justement.

— Bon, comme tu veux. Après tout, ce n’est pas moi qui suis pressé de découvrir ton cadeau…

— Tu ne perds rien pour attendre, espèce de crapule !

Il ne put retenir son éclat de rire, ce qui m’agaça encore plus. En traversant le parking, il passa un bras autour de mes épaules. Mon cœur s’accéléra subitement. Je m’efforçai de garder un air détaché en râlant délibérément.

— Lâche-moi ! Je ne suis pas un repose-bras !

— Arrête, tu sais que tu ne fais pas le poids contre moi, dit-il en resserrant son étreinte.

Je tentai de dissimuler ma respiration un peu trop rapide tandis que mes joues irradiaient.

Si tu ne te ressaisis pas rapidement, tu vas te faire griller.

Pourtant, je continuais de croire que Nathan ignorait tout de mon trouble, même si cela se voyait comme le nez au milieu du visage ; les hommes sont parfois aveugles face à l’évidence.

Nathan commanda son menu avant de me tendre la carte d’un air de défi. M’absorbant dans la lecture de celle-ci, je l’ignorai pour tenter de me décider. Je finis toutefois par choisir un assortiment de sushis, comme à mon habitude. Il retint un sourire alors que son regard pétillait, ce qui me fit lever les yeux au ciel.


De retour à mon appartement, Nathan disposa consciencieusement chacun de nos plats sur la table. Je l’observai, impatiente, en attendant le moment où il cesserait de m’ignorer. Comme cela n’arrivait pas, je partis me laver les mains dans la salle de bain.

Je commençais à frotter mes paumes saturées de savon lorsque Nathan entra et me poussa délibérément pour prendre ma place.

— Ah non ! Je ne te laisserai pas ma place, tu vas devoir attendre, espèce de macho !

Il me sourit à travers le miroir pendant que je luttais pour garder mon corps en face du lavabo. Malgré ma volonté de paraître sévère, je ne pus retenir un sourire. Son air supérieur et amusé tandis qu’il s’appuyait légèrement sur ma droite pour me faire dévier de l’axe augmenta mon envie de lui résister.

Comme je ne bougeais pas d’un pouce, bien fixée sur mes appuis, il abandonna sa première idée et se plaça derrière moi. Ses bras glissèrent autour de ma taille pour se frayer un chemin jusqu’à l’eau. Il fit mousser le savon au creux de ses paumes et en étala volontairement sur mes mains propres.

Je ris de plus belle, sans réussir à afficher mon air fâché. Une lutte s’engagea ensuite sous le robinet pour récupérer le plus d’eau. Il gagna largement la bataille et finit par secouer ses mains au dessus de moi. Je le repoussai quand je sentis les petites gouttes fraiches tomber sur ma peau.

— Arrête ! m’écriai-je à bout de souffle, les joues figées en un sourire permanent.

Il prit une serviette de toilette et s’essuya, avant de reporter son attention sur moi. Son sourire triomphant annonçait une autre plaisanterie de sa part. Il me lança l’essuie-mains à la figure et profita de mon aveuglement momentané pour se précipiter hors de la pièce, ce qui me provoqua un autre éclat de rire.

— Tu ne perds rien pour attendre ! criai-je, sachant pertinemment que je n’avais aucune chance contre lui.

Quand je le rejoignis, il avait repris sa place et m’ignorait de nouveau. Je devais l’admettre, il était beaucoup plus fort que moi quand il s’agissait de me tourmenter.

Prenant un air mécontent et m’efforçant d’étouffer les restes de mon hilarité, je demandai :

— Tu vas me faire attendre encore longtemps ?

Il détailla ma posture et répondit sur un ton réprobateur :

— Je ne sais pas, ça dépend de toi.

— Allez quoi, t’es pas sympa.

— Méli, tu sais très bien que plus tu insisteras, moins je cèderai. Allez, assieds-toi et mange.

Son visage paraissait impassible, mais ses yeux le trahissaient, reflétant cette note d’humour qui me faisait vibrer.

— Je n’ai plus faim ! boudai-je.

— Tant mieux, ça m’en fera plus.

Sans me laisser le temps de protester, il prit un de mes sushis et l’enfourna dans sa bouche.

— Mmm, c’est tellement bon, tu as tort de ne pas en vouloir.

Horrifiée, je me ruai à ma place et protégeai mon plat contre toute nouvelle attaque, tout bon sens m’ayant désertée dès l’instant où le sushi avait disparu dans son estomac.

— Si tu touches encore un de mes sushis, tu vas le regretter !

Il me fixa un instant. Son air sévère vacilla légèrement et un sourire taquin illumina son visage, montant jusqu’à ses yeux pailletés d’or.

— Je croyais que tu n’avais pas faim, dit-il avant de boire une gorgée de sa soupe miso.

— Ce n’est pas le problème, répliquai-je agacée.

— Allez, arrête de faire ta tête de mule et mange.

Ce que je fis aussi rapidement que possible, croyant naïvement qu’une fois mon plat terminé je saurais enfin de quoi il s’agissait.

Au moment où j’avalais ma dernière bouchée, je fus scandalisée de constater que Nathan prenait un malin plaisir à déguster son assiette avec une lenteur démesurée. Toutefois, je me gardai bien de lui en faire la remarque puisqu’il essayait clairement de me pousser à bout.

Je pris mon mal en patience et tentai de penser à autre chose qu’à ce fameux cadeau, mais j’avoue que ma curiosité maladive revenait sans cesse sur cette problématique et que, sans m’en rendre compte, je fixais chacun de ses gestes jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien à manger.

Persuadée que le moment était enfin venu, je me redressai, attentive à ce qui allait suivre. Malheureusement pour moi, Nathan continua à me faire marcher.

— Tu me fais un café ?

— Hum, laisse-moi réfléchir… Non !

— Pas de café, pas de cadeau.

— Finalement, je me demande si tu n’as pas inventé cette histoire juste pour que je t’obéisse.

— Fais-moi un café et tu auras la réponse.

Son demi-sourire énigmatique eut raison de mes protestations. Je me précipitai dans la cuisine pour lui préparer ce qu’il m’avait demandé.

— C’est bon, tu es satisfait ? demandai-je en posant sa tasse juste devant lui.

— Ne sois pas mauvaise joueuse, Méli. Tu sais que les hommes seront toujours les plus forts. Ne bouge pas, continua-t-il en attrapant enfin sa sacoche.

Je ne relevai pas sa remarque macho, certaine qu’il mettait tout en œuvre pour retarder le moment que j’attendais.

Il fouilla dans son sac, ce qui me parut durer une éternité. Quand il me tendit une petite boîte en velours bleu nuit, mon souffle se bloqua dans ma gorge. Je la fixai pendant de longues secondes, avant de demander :

— Qu’est-ce que c’est ?

La vue de cet objet avait douché mon enthousiasme.

— Vas-y, ouvre-là.

Son regard pétillait, sans que je n'arrive à déterminer si c’était à cause de ma tête ou du cadeau qu’il m’offrait.

Je pris l’écrin d’une main tremblante, relevai le couvercle… et faillis m’étrangler lorsque je découvris une petite amulette en forme de spirale en tout point identique à celle qu’arborait mon sauveur lorsque j’avais quinze ans.

— Où as-tu trouvé ça ? demandai-je dubitative.

— Ça, ça ne te regarde pas.

Occupée à contempler l’objet sous tous les angles, je mis du temps à réagir.

— Comment ça, ça ne me regarde pas ?

Je reposai la boîte sur la table et fixai Nathan avec méfiance.

— Ok, soupira-t-il. Je l’ai trouvé dans un vide-grenier. Une sorte de magasin d’antiquités.

Je fronçai les sourcils, perplexe.

— Qu’est-ce que c’est ? répétai-je.

— Un pendentif. Attends, je vais te l’attacher.

Nathan délogea le médaillon de son écrin et se plaça derrière moi afin de le glisser autour de mon cou.

Machinalement, je posai une main dessus pour vérifier qu’il était bien en place. Ma paume entra en contact avec la spirale qui dégagea une chaleur inexplicable.

La seconde d’après, mes yeux se fermèrent d’eux-mêmes. J’eus la désagréable impression que mes pieds ne touchaient plus le sol. Un vent glacial se leva comme par magie et tourbillonna autour de moi, comme si j’étais le centre d’un cyclone. Un interminable frisson me transperça de part en part malgré la chaleur ambiante. J’eus un léger vertige. Cela ne dura qu’un instant. Tout cessa subitement. Je m’effondrai sur la moquette, à bout de souffle et à moitié étourdie. Lorsque je rouvris les yeux, Nathan était accroupi devant moi, l’air terriblement inquiet.

— Est-ce que ça va ?

— Que s’est-il passé ? demandai-je hébétée.

— Tu t’es évanouie. Comment tu te sens ?

Je sondai son regard, persuadée qu’il venait d’être témoin de l’étrange phénomène, mais ne vis rien d’autre qu’une profonde inquiétude.

— Je ne sais pas…

Je me relevai lentement, vacillante. Je m’apprêtais à rejoindre le canapé quand Nathan me souleva dans ses bras. Son odeur, que je n’arrivais pas à décrire, mais qui m’avait toujours fait penser à des petits gâteaux sortis du four, m’enveloppa immédiatement. Je me blottis plus étroitement contre lui, avant qu’il ne me dépose délicatement sur le sofa. Il détacha le médaillon et le fit disparaître dans sa poche.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je ne sais pas si c’est ce médaillon qui t’a provoqué ça mais, dans le doute, je préfère te l’enlever…

Je scrutai son expression sans réussir à savoir s’il avait été témoin de cet étrange phénomène.

— Tu as tout vu, n’est-ce pas ?

— Mais enfin, de quoi tu parles, Méli ?

— Qu’est-ce que ce médaillon représente ? enchaînai-je.

— Je ne sais pas ; c’est un pendentif tout ce qu’il y a de plus normal.

Je me tus sans cesser de le fixer, tandis que ses sourcils se fronçaient.

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

Son ton prévenant et profondément inquiet eut raison de mes doutes. Je baissai les yeux, me sentant un peu bête de l’accuser de quoi que ce soit.

— Rien… c’est juste que… tout ça est trop bizarre.

Malgré mon incertitude, Nathan m’avait prouvé depuis ces sept dernières années qu’il se mettait en quatre pour prendre soin de moi. Je n’avais aucune raison de penser que ça changerait.

— Bon, je vais devoir te laisser. J’ai quelques clients à voir. Ça va aller ?

Nathan était commercial pour une grande marque de vélo et devait sans cesse démarcher les magasins pour leurs proposer ses produits.

— Oui… Enfin, je crois.

Il m’enlaça dans une tendre étreinte et déposa un baiser sur ma joue, ce qui acheva de me déstabiliser.

— À plus tard, et appelle-moi si ça ne va pas.


Quand il fut parti, je passai une bonne partie de l’après-midi à ressasser cet épisode étrange.

Est-ce que je me suis vraiment évanouie ? Ou est-ce que c’était réel ?

Nathan connaissait parfaitement les détails de mon agression, que je lui avais racontés des dizaines de fois. Mais je ne pouvais pas me résoudre à ce qu’il y ait un quelconque rapprochement entre cette nuit-là et ce médaillon. Tout ça était probablement une énorme coïncidence… Enfin…, c’est ce que je me répétais pour ne pas paniquer…

La porte d’entrée s’ouvrit de nouveau, ce qui me tira de mes pensées. David, de trois ans mon cadet, entra en trombe, un gros sac de vêtements dans chaque main. Quand il m’aperçut, il s’immobilisa sur le seuil de la porte, comme pris sur le fait. Pour être honnête, ce n’était pas franchement dans ses habitudes de faire les magasins. Les rares fois où il y allait, il me suppliait de l’accompagner pour avoir mon opinion.

Sans dire un mot, il disparut dans sa chambre, l’air coupable. Habituellement, il se confiait à moi…

David et moi habitions ensemble depuis plusieurs années. A l’époque, je pensais qu’emménager avec lui serait une bonne idée, même si, comme tout frère et sœur qui se respectent, il nous arrivait de nous chamailler. Pourtant, notre cohabitation fonctionnait plutôt bien. À la base, nous avions opté pour cette solution seulement de façon temporaire, le temps de nous établir financièrement. Mais dans notre économie actuelle, il était difficile de trouver un travail assez bien payé pour avoir son propre appartement. Et vivre avec nos parents devenait trop conflictuel ; on ne se sentait pas assez libres.

Il ressortit presque aussitôt de sa chambre pour m’expliquer qu’il sortait le soir même mais qu’il m’en parlerait plus tard. Il savait que j’avais la mauvaise habitude de m’emballer dès qu’il prononçait le nom d’une fille. Cette fois, il ne voulait pas me faire de fausse joie.

Contrariée qu’il ait organisé sa soirée de son côté sans m’en parler, j’appelai Patricia que je fréquentais depuis que j'avais emménagé. Quand je lui expliquai que mon frère sortait dîner, elle m’invita à manger chez elle pour 19h.

Comme l’heure approchait, je laissai mon frère finaliser sa tenue, et descendis vers l’appartement de Patricia situé juste en dessous du mien. Je toquai trois petits coups à sa porte et brandis un paquet de M&M’s à hauteur du judas.

— Tu n’aurais pas dû, dit-elle en m’ouvrant et en affichant un grand sourire.

— Je sais que tu les adores, la taquinai-je en entrant.

Elle me prit le sachet des mains et m’embrassa chaleureusement.

Plutôt grande et mince, Patricia arborait toujours des tailleurs particulièrement élégants. Sous ses allures de mannequin de haute couture se cachait une fille extravagante qui ne pouvait résister aux couleurs vives et particulièrement tape-à-l'œil. Elle était assez rigolote.

Ses cheveux bouclés tombaient au creux de ses reins dans une cascade rousse et faisaient ressortir le vert pâle de ses yeux. Elle avait également de petites taches de rousseur qui s’accentuaient un peu trop à son goût quand elle s’exposait au soleil, qu’elle dissimulait sous une faible couche de fond de teint.

Jessica, sa fille de 4 ans, me sauta dessus et m’agrippa la taille. Je me baissai pour l’embrasser sur la joue, ce qui la calma un peu.

— Jessica, tiens-toi tranquille et laisse un peu respirer Melinda, la gronda Patricia.

Elle repartit aussitôt en courant vers sa chambre.

— Elle est toujours un peu turbulente, s’excusa Patricia.

— Ce n’est rien, et puis elle me fait un peu penser à moi quand j’avais son âge. Je courais dans tous les sens et mes parents avaient du mal à me canaliser. Même après des heures de promenade, je continuais à sauter partout. Les pauvres quand j’y repense…

— À qui le dis-tu... D’ailleurs, ils n’auraient pas quelques tuyaux à me donner ?

— Je leur demanderai, répondis-je en lui faisant un clin d’œil.

Nous passâmes notre début de soirée à accorder toute notre attention à Jessica qui me montrait tout un tas de dessins qu’elle avait réalisés pour moi. Je fus flattée de découvrir que j’étais présente sur la plupart d’entre eux et surprise qu’elle me représente souvent en compagnie de Nathan. Elle nous avait souvent vus ensemble et je soupçonnais qu’il lui plaisait énormément. Elle n’arrêtait pas de me demander pourquoi il n’était pas venu avec moi.

Après le dîner, Patricia coucha sa petite terreur et nous pûmes enfin nous consacrer à des conversations de grandes personnes.

Confortablement assise sur son canapé, elle entama la première question d’une longue série :

— Alors, tu as fait ce que je t’ai suggéré avec Nathan ?

Je rougis, incapable de soutenir son regard.

— Eh bien… non et, franchement, je n’en ai pas le courage…

— Oh voyons, Melinda ! Si tu ne tentes rien, tu ne sauras jamais si tes sentiments sont réciproques.

Je lui racontai mes dernières impressions au sujet de Nathan, soulignant que les choses étaient loin de changer entre nous ; que notre relation n’était rien d’autre qu’une profonde amitié. En tout cas, j’étais persuadée que c’était ce qu’il ressentait.

Malgré l’insistance de Patricia pour me convaincre de me jeter à l’eau, je refusais de tenter quoi que ce soit.



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