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Working Love - Chapitre 1

Après s’être garée dans le petit parking de son entreprise spécialisée dans le composite, Jessica Mlynovsky marcha jusqu’à l’entrée où elle salua les quelques ouvriers qui prenaient leur café devant la machine. Comme à chaque fois, elle répondit poliment malgré quelques regards insistants sur sa personne. Il fallait dire que se pointer en jupe crayon, chemisier blanc presque transparent et talons aiguilles n’était pas très judicieux. Mais Jessica en faisait toujours des tonnes. Le contraste était d’autant plus saisissant lorsqu’elle se trouvait à côté des ouvriers qui travaillaient en bleu de travail pour ne pas se salir et utilisaient des EPI[1] pour se protéger…

Certes, ses collègues bureaucrates s’habillaient aussi en tailleur, mais Jessica faisait toujours son maximum pour être au top, aussi bien dans son apparence que dans son travail.

Alors, comme tous les matins, elle adressa à ces hommes un sourire poli, de ses lèvres rouge rubis, avant de s’éclipser dans son bureau. Parce que, oui, elle adorait le rouge à lèvres rouge. En fait, elle ressemblait un peu à une Barbie blonde avec ses longues jambes et sa silhouette mince. Et elle en était très fière !

Cela faisait deux ans qu’elle travaillait pour cette firme américaine qui avait une filiale en France. Elle espérait secrètement qu’à terme, elle pourrait se faire muter aux États-Unis. Jessica avait des rêves de grandeur. De plus, elle en avait assez de vivre en France. Elle était née dans ce petit village de Vert-Le-Petit, en banlieue parisienne, et y avait passé une grande partie de son enfance. Maintenant, elle y travaillait aussi.

Même si Jessica adorait la vie mondaine parisienne où elle avait passé quelques années aux côtés de ses parents, elle reconnaissait volontiers que la campagne était tout de même plus calme que la vie dans la capitale. Ici, personne n’était aussi pressé et les bouchons étaient moindres.

Son père avait bien réussi dans sa carrière et sa famille était devenue assez aisée, ce qui expliquait son comportement parfois un peu snob.

Depuis le début, Jessica travaillait avec acharnement, vérifiant toujours ses chiffres plusieurs fois. Elle avait un poste important puisqu’elle était statisticienne et tenait un tableau de bord très pointu sur les pertes et profits de l’entreprise. C’était elle qui donnait la tendance de la société. Si celle-ci était en progrès ou, au contraire, en baisse de productivité. Suite à ses analyses, la direction mettait en place des plans d’action pour être en constante amélioration continue. La satisfaction client devait toujours frôler les 100%. Du moins, cela faisait partie des objectifs, comme un grand nombre d’autres indicateurs.

Jessica passait donc ses journées à tout analyser au peigne fin pour pouvoir remplir ses différents tableaux et fournir une synthèse détaillée une fois par mois. Elle n’avait pas le droit à l’erreur et cela tombait bien, car elle était tout ce qu’il y a de plus perfectionniste. Un trait de caractère indispensable dans son métier. De plus, c’était une grande solitaire. Elle avait donc l’habitude de travailler seule dans son coin, sans compte à rendre à personne, si ce n’était à son supérieur.

Néanmoins, ce jour-là, dès qu’elle franchit la porte de son bureau, Christian, son supérieur, la rejoignit presque aussitôt. Il avait une silhouette athlétique, des yeux verts magnifiques, des cheveux noirs très courts et une peau sombre qui rappelait celle du chocolat. Et il portait pratiquement toujours un costume gris très classe.

— Bonjour Jessica, commença-t-il un peu mal à l’aise. Comme ton bureau est le plus grand, je suis venu te prévenir que notre informaticien viendra installer un second poste dans la matinée. Nous venons d’embaucher un responsable qualité pour te seconder. Il commence à 14h.

Les yeux gris perle de Jessica s’ouvrirent en grand et sa bouche se figea pour retenir une insulte. Puis elle inspira profondément. Deux fois. Avant de pouvoir enfin répondre à Christian.

— QUOI ? hurla-t-elle malgré elle. Qu’est-ce que tu racontes ?

Elle réfléchit une seconde, avant de reprendre.

— C’est une blague, rigola-t-elle enfin. Bien joué, Christian.

— Pas du tout. Alors sois un minimum sociable, s’il te plaît.

Jessica regarda son supérieur qu’elle connaissait bien, sans comprendre.

— Pourquoi maintenant ? Et pourquoi tu ne m’en as pas parlé avant ? se plaignit-elle, dépitée.

— Tout simplement parce que les chefs de production n’ont pas le temps de mettre en place nos plans d’action et que le chef de la sécurité vient de partir à la retraire, comme tu le sais. C’était le bon moment pour créer ce nouveau poste. Martin Verne s’occupera de tout ça.

Jessica serra les dents. Elle savait qu’il était inutile de discuter. Alors, elle prit encore deux grandes inspirations.

— C’est d’accord, je ne lui sauterai pas à la gorge…, bougonna-t-elle.

— Merci. Je repasse après le déjeuner pour te le présenter.

Jessica hocha faiblement la tête et fit mine d’être absorbée par son ordinateur en attendant que Christian s’en aille. Ce dernier n’ajouta rien et quitta la pièce.

Durant toute la matinée, Jessica ressassa l’annonce de Christian. Elle détestait l’idée de travailler avec quelqu’un d’autre et préférait de loin rester solitaire et autonome. Elle était tellement préoccupée que son travail n’avançait pas. Jessica réfléchit à une solution pendant des heures, à tel point qu’elle remarqua à peine l’informaticien qui installait un second poste de travail en face du sien. Elle était à ce point perturbée qu’elle n’avait même pas pris sa pause déjeuner !

Au moment où elle riva ses yeux sur l’horloge de son écran d’ordinateur pour s’apercevoir qu’il était déjà 14h, Christian entra, accompagné d’un autre homme. Un homme grand, mince, qui portait des lunettes discrètes derrière lesquelles se trouvaient des yeux noisette. Ses cheveux bruns étaient coiffés comme un premier de la classe. Il avait l’air timide et elle se dit qu’il serait sûrement facile de l’ignorer et de continuer son travail, comme s’il n’existait pas.

— Jessica, voici Martin Verne, le nouveau responsable QSE et, Martin, je vous présente notre statisticienne, Jessica Mlynovsky, commença Christian en jetant un regard appuyé à Jessica.

— Enchanté, répliqua Martin d’une voix mal assurée.

Alors Christian haussa un sourcil en direction de Jessica pour l’inciter à être polie.

— De même, lâcha-t-elle, crispée.

Martin rougit dès qu’elle lui adressa la parole et cela intrigua Jessica. Pourtant, elle fit de son mieux pour l’ignorer et reporter son attention sur son ordinateur.

— Tu seras chargée de lui expliquer le fonctionnement de l’entreprise, reprit Christian d’une voix ferme.

Jessica releva les yeux vers Christian. Les yeux verts de son supérieur lui lançaient des éclairs, car il était à deux doigts de l’humiliation, comme à chaque fois…

— Pourquoi moi ? gémit-elle, sans tenir compte de son nouveau collègue.

Devant ce manque d’enthousiasme, Martin ne savait pas trop où se mettre. Cette blonde avait l’air vraiment coriace. Une vraie garce avec le physique qui va avec. Et pourtant, si Martin connaissait ce genre de femmes peu fréquentables qu’il ignorait en temps normal, celle-ci avait quelque chose qui lui faisait de l’effet. Pire, qui le faisait rougir jusqu’à la racine des cheveux. Une situation très embarrassante !

— Arrête de discuter mes ordres, bon sang ! reprit Christian.

Jessica leva les yeux au ciel.

— Et ne fais pas ça devant moi ! grogna Christian. La prochaine fois, ce sera un avertissement pour insubordination !

— Très bien, soupira Jessica. La prochaine fois, je le ferai dans ton dos…

Christian souffla et fit de son mieux pour rester calme. S’il n’avait pas embauché cette nana pour faire plaisir à son meilleur ami, son entreprise ne serait pas aussi performante à l’heure actuelle. Jessica était une vraie peste, mais elle faisait un travail remarquable. Sinon, cela ferait longtemps qu’il l’aurait foutue à la porte. Elle était vraiment insupportable quand elle s’y mettait ! Surtout lorsqu’elle se permettait de discuter ses ordres devant quelqu’un d’autre ! Il était quand même le PDG de cette boîte, bordel !

Christian se tourna de nouveau vers Martin et lui indiqua son ordinateur.

— Je vous laisse vous installer, Jessica répondra à toutes vos questions, continua Christian. Si vous avez le moindre souci, venez me voir.

Martin hocha la tête et regarda son supérieur disparaître par la porte, avant d’oser s’installer en face de sa collègue. Cette dernière était absorbée dans son travail et ne lui prêta aucune attention. Il l’observa encore un moment, avant d’oser prendre la parole. Il n’avait jamais eu pour collègue une femme aussi belle que peu avenante. Et Martin était d’un naturel timide, bien qu’il se fasse violence pour mener à bien ses missions en entreprise.

Il se racla la gorge, avant de se lancer.

— Heum… Où est-ce que je peux trouver le manuel qualité de l’entreprise ainsi que les dossiers de certification ? demanda-t-il enfin.

Jessica fixa lentement son attention sur Martin et l’observa d’un air blasé.

— Tout est là, répliqua-t-elle sèchement en se levant pour ouvrir une grande armoire au centre de la pièce.

Martin se leva pour aller à sa rencontre, mais Jessica repartit très vite à sa place, le laissant se débrouiller avec tous les dossiers et les classeurs empilés sur les étagères. Et ce furent les seuls mots qu’ils échangèrent de tout l’après-midi.

Même au moment de partir, Jessica fit de son mieux pour ignorer son nouveau collègue qui avait passé la demi-journée à étudier des papiers et à pianoter sur son ordinateur. Elle devait reconnaître qu’il n’était pas tellement gênant finalement. Il avait l’air aussi studieux qu’elle, ce qui était un gros point fort.


Le lendemain matin, Jessica était toujours contrariée de partager son bureau. Comme d’habitude, elle arriva trente minutes avant tout le monde, sauf, bien sûr, avant les ouvriers qui travaillaient en trois-huit et qui ne manquaient jamais son arrivée. Néanmoins, cette fois-ci, elle ne leur prêta aucune attention et fila droit vers son bureau. Elle en profita pour fouiller un peu dans les affaires de son nouveau collègue. Jessica était d’un naturel très très curieux et, si cela lui avait valu quelques problèmes par le passé, elle n’en avait toujours tiré aucune leçon. De plus, bien connaître les gens avec qui elle travaillait était primordial pour avoir une bonne dynamique de groupe.

Ce qu’elle ne savait pas, c’est que Martin aussi était quelqu’un de ponctuel. Surtout lorsqu’il commençait un nouveau job.

Lorsque ce dernier franchit la porte des bureaux administratifs, puis traversa le couloir qui menait jusqu’à son poste, il reconnut immédiatement le parfum de Jessica. Son cœur eut un léger soubresaut qui le déstabilisa. Martin entra dans son bureau avec appréhension et se figea lorsqu’il vit Jessica fouiller dans ses affaires.

— Tu cherches quelque chose ? demanda-t-il timidement.

Jessica sursauta. Elle croisa le regard noisette de Martin et son ventre se crispa.

— Heu… oui…

Elle avisa les quelques stylos qui étaient parfaitement alignés au-dessus du clavier.

— Un… crayon de papier ! s’exclama-t-elle en espérant qu’il la croirait.

Martin hocha la tête en s’approchant pour déposer ses affaires et Jessica retourna au pas de course à son bureau. Elle prit une feuille dans l’imprimante, puis gribouilla un schéma incompréhensible pour donner le change.

— Tu travailles sur quoi ? demanda Martin en s’asseyant.

Il l’observa avec admiration, tandis que Jessica lui jetait quelques regards inquiets.

— C’est confidentiel ! répliqua-t-elle sur la défensive.

Martin ne trouva rien à répondre, il acquiesça simplement, avant de se concentrer sur son travail. Il avait un boulot énorme à faire. Il devait remettre à jour tout le manuel qualité, ainsi que la planification des audits de suivi pour toutes les certifications de l’entreprise.

La matinée se passa dans une ambiance studieuse. Un silence qui convenait parfaitement à Jessica. Mais cette dernière avait quelques idées derrière la tête. En début d’après-midi, elle commença à demander des petits services à Martin.


Petit à petit, Martin se mit à accomplir beaucoup de tâches ingrates que Jessica ne voulait plus gérer.

En réalité, elle le traitait comme un simple assistant malgré son niveau d’études et d’expérience équivalents au sien. Mais Martin ne semblait pas en prendre note et la première semaine se passa sans encombre. Jessica jubilait intérieurement. Finalement, ce nouveau collègue lui donnait certains avantages...


Malheureusement, le lundi suivant, quelque chose changea dans le comportement de Martin. Il semblait beaucoup moins timide et se permettait des blagues douteuses assez misogynes qui commençaient à agacer Jessica. Bien sûr, il continuait à faire tout ce qu’elle lui demandait, mais il se comportait vraiment comme un abruti !

À partir de ce moment-là, les nerfs de Jessica furent mis à rude épreuve et, chaque jour, elle se sentait un peu plus démunie de sa patience, car le comportement de son collègue devenait de plus en plus insupportable.


Les jours étaient devenus des semaines et les semaines des mois entiers ! Chaque minute, chaque heure de la journée qui passait, l’ambiance ne faisait que s’empirer entre eux. C’était de plus en plus électrique. Si cela continuait, Jessica allait péter les plombs ! Elle ne savait pas très bien comment la situation avait pu dégénérer à ce point, alors qu’elle ne s’était jamais laissé démonter par personne auparavant. Elle ne savait pas non plus de quoi elle était capable pour mettre fin à son supplice, mais elle était sûre d’une chose : Martin devait arrêter de la traiter comme il le faisait ! Cela faisait déjà six longs mois qu’elle se farcissait ce connard !


Ce matin-là, Martin dépassa les bornes ! Il arriva presque en même temps que Jessica. À peine entendit-elle ses pas à l’entrée que son corps se crispa.

— Alors Jessica, comment ça va ce matin ?

Elle leva ses yeux gris vers lui et lui jeta un regard noir.

— Moins bien depuis que tu es là…

Martin observa sa collègue et fit de son mieux pour continuer de jouer son rôle. Depuis plusieurs mois, il suivait les conseils de son ami Lisandro. Un ami qui semblait en connaître un rayon sur les femmes. Alors, comme à chaque fois, il se fit violence pour paraître décontracté et sûr de lui.

— Toujours aussi rabat-joie à ce que je vois, répliqua-t-il.

— Toujours aussi insupportable ! grogna Jessica pour elle-même.

Mais loin de se décourager dans leurs échanges plus qu’inamicaux, Martin continua sur sa lancée, se répétant les encouragements de Lisandro.

— Ah, au fait, j’ai une blague pour toi, dit-il en observant toujours sa collègue malgré son cœur qui avait quelques ratés lorsqu’elle l’observait de cette façon si intense.

Mais Jessica ne garda pas leur contact visuel, elle reporta son attention sur son travail.

— Quelle est la boule de graisse autour du clitoris ? demanda Martin, le plus sérieusement du monde.

Jessica releva les yeux vers lui et, avant qu’elle n’ajoute quoi que ce soit, il répondit à sa blague débile :

— Ben, la femme ! continua-t-il avec une espèce de rire forcé.

Tous les muscles de Jessica se crispèrent instantanément.

— Franchement Martin, tu as quel âge ? répliqua Jessica en contenant son agacement tant bien que mal. Ce genre de blagues débiles est plutôt réservé aux ados prépubères, tu ne crois pas ?

Elle fit ensuite tout son possible pour ne plus réagir à toutes ces provocations, car un rien pouvait alimenter son intarissable flot de conneries misogynes !

Au début, elle avait eu la réplique facile, mais elle s’était vite rendu compte que cela ne servait à rien, bien au contraire. Martin semblait adorer la provoquer et la rabaisser, ce qui lui mettait les nerfs à vif. C’est pourquoi elle avait choisi de l’ignorer au bout de trois semaines. Toutefois, plus les jours passaient, plus cela lui était difficile.

Elle avait bien essayé de parler à Christian de son problème de compatibilité avec Martin, mais il ne voulait absolument rien savoir. Il n’arrêtait pas de lui répondre que Martin était l’un des meilleurs dans son domaine. Et, à chaque fois que son supérieur lui disait ça, cela l’énervait encore plus. C’était elle qui était censée être la meilleure dans son domaine, pas cette espèce de connard !

Encore une fois, sa journée s’annonçait interminable…

Au fond d’elle, Jessica espérait qu’il finirait par être renvoyé… Malheureusement, elle savait que ça n’arriverait jamais.

Malgré le grand nombre de choses à faire que Jessica lui donnait, il était toujours à jour. Le pire, c’était qu’il était aussi pointilleux qu’elle et qu’il ne faisait pratiquement aucune erreur. Il lui avait même soumis quelques points d’améliorations très pertinents ! Cet homme était vraiment excellent dans ce qu’il faisait et c’était tellement énervant pour Jessica…

Durant le reste de la journée, ils échangèrent encore quelques dialogues venimeux. Du moins, Jessica faisait tout pour lui lancer des piques à la moindre occasion, car elle n’arrivait jamais à l’ignorer totalement. Pourtant, Martin ne se décourageait pas et continuait ses remarques agaçantes.

La pression montait de plus en plus en Jessica. Elle était vraiment sur le point de craquer et de faire une crise de nerfs. Elle faisait tout son possible pour se maîtriser et garder son calme lorsque Martin revint de sa pause-café en fin de journée.

— Au fait, tu n’aurais pas pris quelques kilos ?

Là, c’était la goutte d’eau ! Jessica avait juste envie de se jeter sur lui pour l’étrangler ! Il ne méritait que ça ! Mais encore une fois, elle se retint. Pourtant, ce mec avait besoin d’une bonne leçon !

— Espèce de connard ! chuchota-t-elle tout de même.

Lorsqu’il remarqua le regard assassin de Jessica, Martin commença à douter des conseils de son ami. Depuis des mois, il essayait d’attirer l’attention de sa collègue, mais il n’y arrivait visiblement pas. Et, malgré les efforts considérables qu’il faisait pour accomplir à la perfection toutes les tâches qu’elle lui imposait, rien ne semblait être suffisant. Mais Lisandro lui avait garanti qu’il fallait se comporter en macho inaccessible avec ce genre de fille. Et c’est ce qu’il pensait faire depuis le début, sans grand résultat. Excepté le fait qu’elle semble le détester à présent…

— Bon… À plus, Jess, dit Martin en partant.

Sa collègue ne prit même pas la peine de lui répondre.

Dès que Martin eut franchi la porte de leur bureau, Jessica s’empressa d’appeler sa cousine Charline qui travaillait dans un studio d’effets spéciaux pour le cinéma. Jessica était vraiment à bout et son travail commençait à s’en faire ressentir.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Charline en décrochant son téléphone.

— C’est de pire en pire…, se lamenta Jessica.

— C’est ton horrible collègue qui te fait encore des misères ? se moqua Charline.

— Chacha, il est vraiment insupportable ! Je n’en peux plus, il lui faut une bonne leçon…

Charline explosa de rire, car elle n’avait jamais vu sa cousine dans un état pareil.

— Tu es rarement dans une impasse, Jess.

— Ce n’est pas drôle ! J’ai besoin d’un plan. Je veux qu’il arrête de me traiter comme une pauvre blonde écervelée ! Qu’il arrête de me faire sentir insignifiante à côté de lui parce que je ne suis qu’une femme !

— Je vois…

Il y eut un silence de quelques secondes, avant que Charline ne reprenne la parole.

— J’ai peut-être une idée pour le calmer, reprit-elle.

Jessica se redressa sur son siège.

— Je suis tout ouïe.

— Voilà, j’ai pensé à ça parce qu’on est actuellement en train de travailler sur un prototype de ventre de femme enceinte. Un truc de fou qui simule les mouvements du bébé à l’intérieur du ventre. On a un contrat pour une série qui se passe aux urgences et ils veulent un accouchement réaliste et une maman qui peut communiquer avec son bébé…

— Viens-en au fait, Chacha !

Charline lâcha un petit rire.

— On pourrait lui faire vivre un accouchement…, lâcha-t-elle comme une bombe. Comme ça, il verrait les femmes autrement. En plus, on a un animatronic qui ressemble vraiment à un nouveau-né. Ça nous permettrait de tester le truc en situation, tu vois ?

— T’es cinglée ! s’esclaffa Jessica.

— Mais avoue que c’est une excellente idée, s’enthousiasma Charline. Allez, dis oui, s’il te plaît !!! Je te promets qu’après ce mec te laissera tranquille.

— Ça va le traumatiser et je me ferai sûrement virer par ta faute ! lança Jessica qui mourrait d’envie de dire oui rien que pour voir la tête de Martin dans cette situation.

— Allez !! insista encore Charline, car elle sentait que sa cousine était à deux doigts de céder.

— Ce serait irréalisable de toute façon, Chacha. Tu crois qu’on s’y prendrait comment ? Je l’inviterais à venir te voir au studio et après ? Tu crois qu’il se laissera faire ? Il n’acceptera probablement jamais une invitation de ma part, de toute façon. Il me rira au nez, c’est tout ce qu’il fera…

— Justement, j’ai un plan aussi pour ça.

— Depuis quand est-ce que tu penses à cette idée farfelue au juste ? s’inquiéta Jessica.

— Depuis un certain temps… Mais j’attendais que tu sois vraiment désespérée avant de t’en parler, rigola Charline.

— Tu es vraiment cinglée ! répéta Jessica.

— Ça va, c’est pas comme si tu n’étais pas au courant. Tout le monde me le dit au boulot, mais ils savent aussi que mes idées sont génialissimes ! Et les producteurs m’adorent pour ça.

— OK, vas-y, parle ! s’impatienta Jessica.

— Bon, ne m’interromps pas avant que j’aie terminé de tout t’expliquer, d’accord ?

— Crache le morceau ! s’impatienta Jessica.

— OK. Alors pour commencer, il faudrait que tu mettes un tout petit somnifère dans son café… Ensuite, on simulerait un malaise et tu ferais mine d’appeler une ambulance. Mais en réalité, tu me téléphonerais. On a une ambulance pour le tournage de la série. Je recruterai deux mecs costauds de la prod et les déguiserai en ambulanciers. Ensuite, il nous resterait quelques heures pour installer le faux ventre, camoufler les raccords avec du maquillage… On a déjà fabriqué le décor de la chambre d’hôpital avec le lit à étriers et tout.

— Putain, Chacha… T’es sûre qu’on ne risque pas la prison si on fait ça ?

Charline explosa de rire.

— Mais c’est pas comme si on allait le torturer, Jess. Et tu crois vraiment que les flics vont nous enfermer pour ça ? À mon avis, ils seront morts de rire, c’est tout !

Jessica essaya d’imaginer tout ce que Charline lui avait dit.

— D’accord. Et une fois qu’il se réveille, comment ça se passe ?

— Ah, j’allais y venir. Ah oui, on lui posera une fausse perfusion aussi. Donc, dès qu’il se réveille, on lui dit que la péridurale fait effet, c’est pour ça qu’il ne sent absolument rien. Ensuite, on fait bouger le faux ventre et un de mes amis acteurs jouera les médecins et s’inspirera des répliques du script de la série. Ça devrait prendre quelques minutes seulement. Et la cerise sur le gâteau, on lui file le nouveau-né entre les mains. Tu verras, il est tellement réaliste, c’est moi qui l’ai créé de toute pièce. J’en suis tellement fière !

Jessica écoutait sa cousine débiter tout son plan avec enthousiasme. Il n’y avait pas à dire, elle était vraiment passionnée par son travail. Pourtant, quelque chose la tracassait.

— Et s’il porte plainte, Chacha ? Qu’est-ce qui arrivera ?

— Tu crois vraiment que quelqu’un va le croire ? Imagine : « Je porte plainte parce qu’on m’a fait vivre un faux accouchement ».

Et Charline explosa de rire à l’autre bout du fil.

— J’en sais trop rien, répondit Jessica sans réussir à garder son sérieux.

— Avoue que mon plan est GÉNIAL !

— Il l’est, confirma Jessica. Mais c’est quand même un peu risqué. Je dois encore y réfléchir. En plus, je ne suis pas très à l’aise avec le fait de le droguer…

— Oh allez…, insista encore Charline.

— Je n’ai pas envie de tout perdre… Il pourrait me faire virer.

— Mais il ne saura pas que c’est toi ! répliqua Charline.

Jessica s’appuya contre le dossier de son fauteuil de bureau.

— Tu crois ?

— Fais-moi confiance.

Charline était quelqu’un de très perspicace et elle arrivait toujours à entraîner Jessica dans ses délires. Même si cela prenait parfois du temps.

— Je vais y réfléchir. Je te rappelle quand j’ai pris ma décision. Merci, en tout cas, je t’adore !

— Moi aussi, Jess.

Et elles raccrochèrent. Puis Jessica se perdit dans ses pensées. L’idée de sa cousine était vraiment vraiment folle ! Mais elle avait le mérite de la trouver drôle. Pourtant, elle ne se sentait pas encore le courage de faire subir ça à son collègue. C’était quand même aller un peu loin. Non ?

[1] Equipement de Protection Individuelle


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